Dans un studio de photographie et de design situé dans un grand parc industriel, un disjoncteur différentiel (RCD) se déclenchait très souvent. En raison des coupures de courant récurrentes, cette entreprise était sévèrement perturbée dans son travail de nombreux jours par mois. Il fallait trouver rapidement une solution au problème, mais l’électricien de l’entreprise ne parvenait pas à trouver l’origine des phénomènes. Ce n’est qu’après une analyse approfondie sur le réseau que la solution fut trouvée.
Une entreprise spécialisée a été chargée de localiser le défaut dans ce studio photo, situé au premier étage d’un immeuble de plusieurs étages. L’erreur la plus fréquente pour le déclenchement d’un RCD est un point de contact défectueux entre un conducteur neutre et la terre ou un défaut d’isolation avec un courant de fuite en aval du RCD.
Recherche de solution:
Afin d’identifier la solution, les travaux suivants ont été effectués par l’électricien:
- Débranchement de tous les consommateurs et réalisation d’un test d’isolation de tous les câbles en aval du RCD.
- Réalisation d’un contrôle de tous les appareils utilisés dans ce studio photo.
La mesure d’isolation avec 500V DC a été effectuée entre le conducteur de protection (PE) et le conducteur neutre (N) et entre le conducteur de protection et tous les autres conducteurs (L1, L2, L3). Dans tous les cas, la résistance d’isolement était >1 MΩ et donc sans défaut. Le contrôle de l’isolation de tous les appareils n’a pas non plus révélé de défaut d’isolation et ceux-ci ont donc pu être exclus comme étant à l’origine du déclenchement du RCD.
Tous les disjoncteurs du tableau de distribution du studio photo ont ensuite été déclenchés, puis chaque disjoncteur a été réenclenché individuellement afin d’identifier le départ à l’origine du déclenchement du RCD et pouvoir rapidement isoler la ligne défectueuse et laisser correctement fonctionner tous les autres consommateurs du studio photo. Lors de cet essai, il a été constaté que le RCD se déclenchait alors que tous les disjoncteurs en aval étaient déclenchés. L’électricien spécialisé n’avait plus d’autres pistes afin de déterminer ce qui pouvait encore faire déclencher le RCD!
- Tous les consommateurs sont isolés du réseau via les disjoncteurs.
- Tous les câbles et consommateurs ont passé le test d’isolation et peuvent être exclus comme source de défaut.
Recherche étendue à l’extérieur de l’installation de distribution
Au rez-de-chaussée de ce bâtiment se trouve une autre entreprise qui utilise des moteurs à variateur de fréquence pour la production et l’usinage de pièces métalliques. Afin de trouver l’origine du déclenchement intempestif du disjoncteur différentiel, un dispositif de mesure complet, performant et précis a été installé.
Comme le montre la figure 1, le qualimètre perturbographe PQ-Box 300 produit par la société A. Eberle a été installé sur le réseau de distribution secondaire du studio photo. Les pinces ampèremétriques noires mesurent les courants sur les conducteurs L1, L2, L3 et N vus par le RCD, tandis qu’une 5ème pince ampèremétrique (rouge) enregistre en plus le courant différentiel. Le courant différentiel ainsi mesuré et la somme des courants des trois phases et du conducteur neutre, et donc exactement du courant évalué par le RCD.
A chaque instant, la somme des valeurs instantanées des courants L1, L2, L3, N doit être égale à 0. Le courant différentiel qui en résulte, saisi à l’aide de la 5e pince ampèremétrique, correspond donc au courant qui circule à travers la terre comme courant de défaut ou courant de fuite. Comme le montre également l’image 1, les entrées tension ont été connectées à la sortie du RCD par des prises magnétiques. Ces prises magnétiques sont assez pratiques et rapides à mettre en place dans une installation, car les vis des coupe-circuits et des disjoncteurs sont toujours ferromagnétiques et les prises magnétiques peuvent donc être mises en œuvre très facilement et rapidement.
Les seuils de déclenchement de l’analyseur de réseau ont été réglés afin d’enregistrer les déformations rapides de la tension. Dès que la tension du réseau s’effondre à 0 V suite au déclenchement du RCD, l’analyseur de réseau PQ-Box 300 enregistrement toutes les grandeurs échantillonnées à 400 kHz dont celles précédant le déclenchement.
En règle générale, les analyseurs de réseau enregistrent sur une durée dont la partie ultérieure au déclenchement est la plus longue. Dans le cas présent, l’appareil de mesure reçoit son ordre de déclenchement à la fin de la perturbation et il est nécessaire de disposer d’un historique précédant le déclenchement aussi longue que possible. Pour ce faire, un appareil haut de gamme est capable de conserver en continu dans une mémoire de travail rapide (RAM) des oscillographes sur une longue période, même sans dépassement du seuil réglé. La figure 2 illustre l’un de ces événements.
Analyse des données de mesure et explication du problème
A partir des valeurs d’échantillonnage précédant le déclenchement du RCD, il est possible de calculer le spectre de fréquence via une analyse FFT (Fast Fourier Transformation). En règle générale, l’appareil de mesure ne peut calculer le spectre que jusqu’à la moitié de la fréquence d’échantillonnage. Le PQ-Box 300 est capable de le faire jusqu’à 170 kHz.
L’analyse des fréquences des tensions et des courants enregistrés pendant la panne a permis de détecter des fréquences de 8 kHz, 16 kHz, 24 kHz et 32 kHz avant le déclenchement du RCD. L’équipe s’est alors mise à la recherche du responsable. Ces fréquences ne sont générées par aucune charge dans le studio photo et devaient donc provenir de l’extérieur. Comme nous l’avons dit, le RCD se déclenchait, bien que moins souvent, lorsque tous les disjoncteurs étaient désactivés.
Remarque : Attention, la plupart des ampèremètres à pince ainsi que les simples analyseurs de réseau ne mesurent généralement que jusqu’à 2 kHz – ainsi, les courants de fuite apparus ici ne seraient pas mesurables et passeraient donc souvent inaperçus.
La cause a été identifiée : La régulation par les convertisseurs de fréquence
Les hautes fréquences de 8 kHz et leurs multiples ne peuvent être générées que localement dans ce réseau basse tension. On ne peut pas supposer que ces hautes fréquences soient transmises par un transformateur. Par conséquent, la recherche était limitée à ce bâtiment, qui possède son propre transformateur de 400 kVA. Les installations de production dans d’autres bâtiments disposant de leur propre transformateur ont été exclues dans un premier temps. Au rez-de-chaussée de ce bâtiment se trouve une installation de production avec quelques moteurs réglés par convertisseur. Les hautes fréquences de ces installations sont émises dans le réseau par le courant de l’installation.
Comme le transformateur () de ce bâtiment présente une impédance élevée pour les hautes fréquences (voir la formule 1), ces signaux parasites introduits de 8 kHz et leurs multiples cherchent en général d’autres consommateurs à proximité avec une faible impédance. Ce sont surtout des appareils avec des condensateurs en entrée, comme par exemple les alimentations à découpage, comme le montre clairement la formule 2, connue mais souvent non rappelée (nous laissons ici de côté les composantes imaginaires pour simplifier) :
X_{L} = ω* L\hspace{5mm} avec \: \hspace{5mm}ω = 2 *π*f\\ X_{C} = \frac{1}{ω*C}\\\ \\ X_{L} = Réactance\ inductive\ (inductance,\ transformateur)\\ X_{C} = Réactance\ capacitive\ (capacité,\ condensateur)\\ ω = Fréquence\ angulaire\\ L = Inductance\\ f = Fréquence\\ C = Capacité\\
Les formules (1 et 2) montrent clairement que les inductances ont une réactance élevée pour les hautes fréquences et que les condensateurs ont une réactance très faible. Il en va de même pour l’impédance en tant que résistance complexe. La propagation du niveau des perturbations à haute fréquence (également appelées supraharmoniques) est déterminée de manière décisive par tous les consommateurs installés dans le bâtiment.
Explication du phénomène
Les entraînements régulés par convertisseur au rez-de-chaussée ont généré une pollution du réseau autour des fréquences de 8 kHz et leurs multiples. Ces niveaux ne circulent guère en direction de notre transformateur de 400 kVA, car celui-ci présente une impédance élevée pour les hautes fréquences (voir formule 1, figure 5). Ces fréquences vont chercher d’autres charges proches qui présentent une faible impédance de réseau à ces fréquences. Dans ce cas, un courant circule en direction de la charge via les conducteurs de phase et le conducteur neutre.
Les filtres de réseau dans les diverses charges du studio photo génèrent des courants de fuite vers la terre. Tous les consommateurs doivent posséder de tels filtres CEM pour obtenir le label CE. Comme les alimentations à découpage produisent elles-mêmes des perturbations par conduction, ces appareils doivent être équipés de mesures de filtrage. En règle générale, cela se fait à l’aide de composants passifs simples tels que des selfs de réseau à courant compensé et des condensateurs X/Y (Figure 6).
Comme la position de la phase et du conducteur neutre n’est pas clairement définie lors du raccordement de charges monophasées à une prise, on trouve des filtres sur les deux conducteurs : phase vers la terre et neutre vers la terre. Les courants de fuite qui en résultent sont principalement capacitifs, tandis que les courants de défaut ont une composante ohmique élevée.
Un RCD ne peut pas faire la différence entre un courant de défaut et un courant de fuite. Il doit se déclencher dès que son seuil de courant est dépassé. Pour un RCD de 30 mA, ce seuil de déclenchement est de 15 mA minimum à 30 mA maximum. Un RCD doit se déclencher entre 0,5xIn et 1xIn, c’est sa fonction
En raison du grand nombre d’appareils consommateurs se trouvant dans le studio photo, tels que les dispositifs d’éclairage, les caméras, les écrans, les PC et les serveurs, on arrive ici à un courant de déclenchement total de 15 mA ou 30 mA du RCD. La valeur de déclenchement prescrite pour la protection des personnes est de 30 mA. Cette valeur ne doit pas être augmentée. Cela signifie que dans notre cas, celui-ci ne devrait pas être remplacé par un type 300mA.
Le RCD voit alors un courant différentiel dû à la somme des courants de fuite de tous les consommateurs. Celui-ci circule à travers les conducteurs actifs vers la terre ou, dans le cas où tous les disjoncteurs sont désactivés, entre le conducteur neutre et la terre et déclenche ainsi le RCD. Dans une mesure d’isolation, cet effet ne se remarque pas, car celle-ci est effectuée avec une tension DC.
Solutions au problème
Il y a plusieurs moyens de solutionner ce problème:
- Installation d’un filtre de réseau directement en amont du réseau de studio de photo au 1er étage;
- Installation d’un filtre réseau en aval du pollueur au rez-de-chaussée;
- Eventuellement, échange du RCD pour un type adapté à la configuration.
Il existe aujourd’hui une multitude de types de RCD différents pour différentes applications, comme par exemple : AC, A, B, B+, F. Une solution à notre problème serait de remplacer le RCD de notre distribution par un Doepke type B SK, par exemple. Ce RCD est défini comme suit : Disjoncteur différentiel de type B sensible à tous les courants pour les installations électriques avec variateurs de fréquence, avec une disponibilité maximale et un seuil de déclenchement défini en continu, même pour des fréquences de courant de défaut élevées jusqu’à 150 kHz. Pour ce type de RCD, le courant de déclenchement pour les fréquences plus élevées est supérieur à 30mA pour 50Hz. Les hautes fréquences ne sont pas aussi dangereuses pour l’homme que les courants de 50/60Hz et une valeur de déclenchement plus élevée peut donc être utilisée ici.
Comme, dans notre exemple, on voulait aussi éviter les perturbations provenant d’autres appareils dans ce bâtiment, on a décidé d’installer un filtre de réseau dans la ligne d’alimentation de l’entreprise responsable au rez-de-chaussée. On élimine ainsi les fréquences élevées dès leur origine.
Conclusion
Il est généralement notoire que dans les installations industrielles équipées d’électronique de puissance, il faut s’attendre à des courants de fuite plus élevés et que ceux-ci peuvent faire déclencher plus souvent et inutilement des disjoncteurs différentiels.
Mais un déclenchement de RCD par d’autres entreprises en dehors de la distribution électrique avec électronique de puissance n’est pas toujours aussi simple à expliquer.
En raison de l’évolution des techniques énergétiques, nous sommes de plus en plus souvent confrontés à des perturbations dans la plage des hautes fréquences de 2 kHz à 150 kHz dans nos réseaux d’alimentation en énergie, causées par des entraînements régulés par convertisseur ou des alimentations à découpage. Ces réactions à haute fréquence provoquent également de nouvelles perturbations, inconnues jusqu’à présent. Les normes de qualité de la tension, comme par exemple la norme CEI 61000-2-2, possèdent aujourd’hui déjà des valeurs limites pour le réseau public à basse tension allant jusqu’à 150 kHz.
Pour détecter des perturbations dans ces plages de fréquences, il est important de vérifier si l’appareil de mesure ou les pinces ampèremétriques utilisés peuvent mesurer ces fréquences. Chaque appareil de mesure et chaque pince ampèremétrique possède une plage de fréquences limitée qu’il convient de vérifier avant d’effectuer une tâche de mesure.
Literature
[1]
Allstromsensitive Fehlerstromschutzeinrichtungen (RCD Typ B)
Anwendungshinweise und technische Informationen (Handbuch Allstromfibel). Doepke Schaltgeräte: Oktober 2019.
Erhältlich unter: www.doepke.de/de/produkte/schuetzen/fehlerstromschutzschalter-rccb/
[2]
DIN EN 61000-2-2 (VDE 0839-2-2):2020-05 Elektromagnetische Verträglichkeit (EMV)
Teil 2-2: Umgebungsbedingungen – Verträglichkeitspegel für niederfrequente leitungsgeführte Störgrößen und Signalübertragung
in öffentlichen Niederspannungsnetzen.
Auteur
Jürgen Blum, Product Manager Power Quality Mobile